José Bové

La méthode Bové : la mise en scène du conflit

Pour comprendre les ressorts de cette réussite médiatique, il est important de comprendre que Bové fait mouche en général quand il met en scène un conflit assez manichéen et simpliste, en dramatisant à l’extrême. Comme le confiait José Bové à Télérama en février 2000, pour défendre sa cause, « on peut se servir des outils de communication comme relais en adoptant un langage que tout le monde peut entendre », en ajoutant « l’action passe toujours par une mise en scène et une adaptation du discours ». Selon Stéphane Rozès, directeur de CSA-Opinion, « sa popularité est aussi trempée dans le conflictuel et il en joue avec talent en construisant son image sur de l’affrontement. » Et ce qui rend sympathique Bové, aux yeux des médias comme à ceux du public, c’est qu’il prend toujours la posture de David contre Goliath, n’oubliant jamais de jouer les victimes quand Goliath ose répliquer. La campagne contre les OGM est sur ce point exemplaire. Un sujet aussi complexe que les OGM – sur les plans scientifique, agronomique, économique et sociologique – est polarisé par Bové en conflit entre « petits paysans » et « grosses multinationales », entre « anti-OGM » et « pro-OGM ». Les actions de fauchage, elles-mêmes très télégéniques, donnent un sens dramatique à l’action puisqu’il s’agit d’actions illégales engagées prétendument parce que tous les autres recours légaux auraient été épuisés. Chaque procès et chaque arrestation deviennent également l’occasion d’une cristallisation du conflit, où le citoyen-faucheur-résistant est poursuivi par les méchantes multinationales. Toujours David contre Goliath. N’empêche que l’hostilité de José Bové à l’égard des OGM est partagée par bon nombre de responsables aussi bien au sein de l’Etat français que dans les institutions communautaires. Rappelons en effet que les réticences européennes sont fortes puisque l’Europe avait déjà déclaré un moratoire entre 1999 et 2003 et, de plus, un seul OGM – le maïs MON 810 – a été autorisé alors que bien d’autres OGM sont cultivés dans le monde.
La phase finale du conflit est, elle aussi, exemplaire. José Bové se dit prêt à mettre sa vie en danger pour obtenir le moratoire et annonce solennellement le 13 octobre : « Nous avons décidé de lancer (…) une grève de la faim illimitée jusqu’à l’obtention de ce moratoire. Ceci n’est pas une décision facile à prendre. (…) Se lancer dans cette action, qui est une action ultime, nécessite beaucoup de réflexion, nécessite de se dire que l’on a plus d’autres moyens que de se mettre soi-même en danger pour que, enfin, la parole des citoyens soit entendue. » Tel Gandhi, Bové est prêt à sacrifier sa vie pour défendre sa cause. Enfin, pas tout à fait. Le discours est poignant, mais la réalité est tout autre car il n’a jamais été question pour les grévistes de la faim d’aller jusqu’au bout et risquer leur vie Jean-Baptiste Libouban, fondateur des Faucheurs Volontaires, a en effet expliqué que les jeûneurs ne prenaient aucun risque : « On a décidé que c’était un jeûne citoyen et responsable, ça veut dire que chacun met lui-même en application le principe de précaution. Et ce principe de précaution veut dire respect de la vie et non pas joujou avec la mort. A ce titre là, on a cinq médecins qui vont s’occuper des dossiers de chacun des jeûneurs et donc il y a un suivi médical important. (…) Il y aura un suivi journalier pour voir comment se comportent les jeûneurs, de façon que le médecin puisse dire : “Je te conseille d’arrêter parce que sans cela tu risques de mettre ta santé en danger, d’avoir des séquelles qui seront irréversibles.” » Autrement dit, l’annonce d’une « grève de la faim illimitée » a été principalement une annonce médiatique forte censée faire pression sur le gouvernement et la Haute Autorité.
En outre, le timing de l’opération est crucial car il a fallu que la grève de la faim ne commence pas trop tôt avant le moment où une décision soit prise sur la clause de sauvegarde. Fin novembre, José Bové sait que la Haute Autorité pour les OGM sera chargée d’apporter une nouvelle évaluation sur le MON 810 avant la fin janvier et que la clause de sauvegarde allait être décidée en fonction de cet avis (on imagine mal en effet que la France déclenche la clause de sauvegarde et qu’ensuite la Haute Autorité puisse donner un avis positif). Sachant cela, il fixe quand même au 3 janvier l’ultimatum à Jean-Louis Borloo, date à laquelle il débuterait sa grève de la faim si un moratoire n’est pas décidé. Et c’est sans surprise que Bové démarre sa grève de la faim à la date prévue, juste quelques jours avant la décision de la Haute Autorité. Le comble de la mise en scène est sa rencontre avec Nathalie Kosciusko-Morizet, qui visiblement semble plutôt l’encourager dans sa démarche.
Selon le journaliste écologiste Fabrice Nicolino, cette « polarisation » a été « voulue tant par Bové que par l’État ». Il déclare sur son blog : « Je dois dire que je suis estomaqué par la mise en scène du soi-disant recul du gouvernement. Mon Dieu, quelle blague ! C’est une nouvelle fois le redoutable piège du Grenelle qui se referme. Les interlocuteurs, de part et d’autre, ont intérêt à légitimer l’adversaire. Bové, en l’occurrence, se doit de considérer que la bataille est décisive, et que Sarkozy ne recule que contraint et forcé (Acte 1). Borloo and co ont besoin d’un Bové – ou de tout autre – offensif, qui puisse donner chair et crédibilité à la pantomime autour des engagements “écologiques” de l’équipe au pouvoir (Acte 2). Et tous ont intérêt à montrer que le combat a été dur, mais qu’il produit des résultats (Acte 3 et rideau). »