Les carottes de Créances sont cuites

Partager sur : TwitterFacebook

L’affaire est sortie en juillet 2019 : quatorze producteurs de légumes de la zone de Créances, dans la Manche, étaient accusés de s’être procuré et d’avoir utilisé un produit à base de dichloropropène, une molécule protégeant les carottes du nématode, interdite en France depuis 2018.

L’enquête est accablante pour les quatorze producteurs : « Depuis 2018 (date de l’interdiction), près de 80 tonnes de produits interdits ont été importées illégalement d’Espagne et étaient utilisées et répandues sur plusieurs hectares dans le secteur de Créances. Plusieurs saisies ont également été effectuées, notamment 23 tonnes de produits phytosanitaires interdits. »

« L’État a mis les producteurs dans une impasse »

Les accusés sont poursuivis pour les motifs suivants : mise sur le marché, détention et utilisation en bande organisée de produits phytosanitaires ne bénéficiant pas d’une autorisation ; faux et usages de faux, notamment par personnes morales ; pratiques commerciales trompeuses ; abus de biens sociaux ; abus de confiance ; blanchiments et blanchiments de fraudes fiscales.

Onze d’entre eux ont depuis attaqué en justice l’État : « en modifiant les conditions de production de la carotte des sables, alors qu’il n’existe pas encore d’alternative viable, l’État a mis les producteurs dans une impasse. »

Concurrence déloyale

Concrètement, « sans dichlo, dans le meilleur des cas, on perd un tiers de la récolte et, au pire, plus de la moitié » explique Matthieu Dogan, premier producteur de carottes de Normandie (150 hectares et 5 millions d’euros de chiffre d’affaires) à Society. Dans les faits, une baisse de plus de 38 % des volumes est constatée dès 2019, provoquant « 80 à 100 licenciements » cette même année. Quelle entreprise survivrait à un tel handicap ? Quel territoire supporterait un tel suicide ?

Justement, les onze dénoncent également une concurrence déloyale, d’autres pays comme l’Espagne, l’Italie, le Portugal ou Chypre continuant d’accorder la dérogation d’utilisation du dichloropropène à leurs producteurs, et leurs légumes produits dans des sols traités à retrouver sur les étals français. Gonflé quand on sait que les carottes saisies chez certains des quatorze ont finalement été détruites

Quand Stéphane Travert promet aux producteurs un million d’euros d’indemnisation

Enfin, « l’État n’a pas activé les leviers, tant au niveau européen (clause de sauvegarde) que français (loi Egalim), qui permettraient d’interdire l’importation en France de carottes produites en Europe avec l’apport du produit phytosanitaire non-autorisé », regrettent les conseils des plaignants.

Stéphane Travert ? Il admet dans les colonnes de Society qu’il a agi sous la presse de lobbies bien connus : « La pression médiatique et sociétale était alors très forte sur ces sujets-là », s’excuse-t-il presque.

… mais ne tient pas sa promesse

L’ancien ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation n’a pas tenu son engagement d’avril 2018 : débloquer un million d’euros d’indemnisation via le FMSE (Fonds national agricole de mutualisation sanitaire et environnemental). « L’État n’a pas apporté un centime », regrettait Me Yvon Martinet, avocat de producteurs, en décembre dernier.

« Je savais que cela allait être très impactant sur le territoire dont je suis l’élu, mais je me suis dit que j’allais pouvoir accompagner mes producteurs » assure Stéphane Travert aujourd’hui, décidément bien naïf. Comme s’il ignorait qu’un ministre est par définition sur un siège éjectable. Il quittera le gouvernement lors du remaniement d’octobre 2018 (Travert a quand même eu six mois pour agir)… et tant pis pour les producteurs qui n’ont alors plus que leurs yeux pour pleurer.

Aucune alternative au dichloropropène pour le moment

« Lorsque Philippe Jean s’est installé à Créances en 1980, il y avait 300 maraîchers. Il n’y en a plus qu’une trentaine. La fin du dichlo risque d’en faire disparaître d’autres » constate Society. Le bimensuel bobo confirme l’absence d’alternatives : « peu d’autres techniques (que le dichloropropène, ndlr) ont été tentées », peut-être parce que la carotte n’a jamais été considérée comme une « culture prioritaire » estime Sylvain Fournet, chercheur à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (Inrae). Lui tente de déclencher « l’éclosion suicide » de nématodes grâce à des molécules émises par les racines des carottes, « mais il est encore loin d’avoir trouvé un nouveau produit ».

Bruno Pitrel, responsable des « impasses sanitaires » au Sileban, centre technique de la filière légumière régionale, participe à un programme pour développer des variétés résistantes au parasite, « sans succès majeur pour l’instant » : « On est sur des systèmes de culture à moyen terme. Ce n’est pas forcément en phase avec le besoin, qui est immédiat ».

« On vous coupe les vivres, on ne vous promet rien »

« Les décideurs de l’époque ont fait le choix de sacrifier 160 exploitations agricoles plutôt que de signer une dérogation (…). On vous coupe les vivres, on ne vous promet rien » décrit Pascal Ferey, président de la chambre d’agriculture du département de la Manche. A part le tribunal si vous tentez de survivre malgré la loi. Les quatorze seront fixés sur leur sort judiciaire le 1er septembre 2021.

7 commentaires sur “Les carottes de Créances sont cuites

  1. Désolant, mais pas étonnant dans ce climat d’hystérie anti-pesticides dont souffre notre pays et entretenu par (presque) tous les médias !

  2. C’est quand même curieux que les agro-industriels ne consomment pas les fruits et légumes
    de leurs productions ; ils les vendent , surement par altruisme et par souci de nourrir le monde
    sainement ! Pour eux et leur famille , ils ont un petit potager bio ! étonnant non ?
    Et c’est la même chose , chez les éleveurs .
    Ce genre de pratiques , n’a besoin d’aucun autre argument !!!

    1. Trouvez moi un producteur « conventionnel » qui refuserait de consommer ce qu’il produit.
      Bien sûr qu’ils ont un potager pour eux, tout simplement pour les légumes qu’ils ne produisent pas pour la vente. Mais je vois mal un producteur de tomates sous serres, faire parallèlement son « petit potager » avec des tomates.
      Un producteur de lait ne va quand même pas acheter son lait UHT…
      Argument idiot

    2. C’est le même discours que l’on entend depuis des dizaines d’années et personne n’a pu apporter la moindre confirmation. Je pense qu’il s’agit d’une rumeur ayant pris naissance dans le monde du bio pour discréditer l’agriculture conventionnelle. Et j’ai moi-même été justement exploitant bio dans le années 80.

    3. @ salod’bios

      >>>>W Feriez bien de sortir de temps en temps de votre grotte intrapériphérique et voir un peu comment ceux que vous méprisez bossent 70 heures/semaines 7/7/365c pour vous nourrir abondamment de bonne qualité et pour pas cher (en tous cas pour moins que çà leur coûte à produire! Pauvre type! borné!

    4. si je me trompe pas c’est les arboriculteurs qui produits les fruits et les maraichers les légumes. Donc vous parler de quoi quand vous citer les agro-industriels ? N’est-il pas normal pour vous que des personnes vendent le fruit de leurs travails ? Et s’ils ne vendent pas leurs productions , comment les gens ce nourriraient de nos jours ??
      J’aimerais bien des arguments de ce que vous affirmer car a part des on dit ,rien de probant. Comment pouvez vous prouvez que les agriculteurs ne consommes pas ce qu’ils produisent ?

  3. Ce n’est malheureusement pas une  » rumeur  » ; il faut être naïf ou ne rien connaitre de l’agriculture pour ne pas le savoir .
    En tout cas , le monde agricole est bien au courant de ces pratiques douteuses , voire carrément malhonnête !

Les commentaires sont fermés.