Les racines réac’ des précurseurs du bio : le cas de Pierre Gevaert

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Dans son livre Bio : fausses promesses et vrai marketing, Gil Rivière-Wekstein retrace l’histoire de l’agriculture bio en France et constate que la plupart des précurseurs du bio – Raoul Lemaire, André Birre, Henri-Charles Geffroy, etc. – partagent une même idéologie réactionnaire. C’est la première fois que cette histoire est racontée, et rien que pour cela, ce livre mérite d’être lu.

Alerte Environnement entend aussi contribuer, modestement, à documenter l’imprégnation du courant bio par une idéologie conservatrice, avec le cas particulier de Pierre Gevaert. Qualifié récemment de « visionnaire » par Philippe Desbrosses, l’agronome belge Pierre Gevaert a été co-fondateur de Nature & Progrès Belgique, fondateur du groupe d’alimentation biologique belge « Lima », fondateur de plusieurs éco-villages en France et fondateur d’une école d’éco-agriculture au Sénégal.

Nous avons retrouvé un article de cette figure du bio, intitulé « Retourner à une civilisation agraire ou périr », dans un numéro de Nature & Progrès de 1973, que l’on peut résumer par une de ses affirmations : « Tout dégénère dans la grande ville, tout régénère à la campagne. » (Voir article en entier) Il prétend notamment que ceux qui « se sont nourris des aliments de la ville (…) ont dégénéré physiquement et mentalement ». Il prône un retour massif à la terre – « la proportion des ruraux et des citadins devrait être de 80% de ruraux et 20% de citadins » – et fustige la ville, responsable de notre « décadence » : « C’est toujours des villes qu’est venue la décadence et par conséquent la fin des civilisations, (…). Décadence non seulement à cause de la corruption des mœurs et de la dégénérescence organique qui ne tardent pas à se produire lorsque l’homme quitte ses racines terriennes, mais aussi à cause du ramollissement qui s’opère par l’oisiveté. Il est évident que l’homme recherche toujours la facilité. » Ces idées développées par Pierre Gevaert sont en grande partie inspirées par le biologiste Alexis Carrel (que l’agronome belge n’hésite pas à citer), auteur du célèbre L’Homme, cet inconnu (1935) et par ailleurs membre du Parti populaire français, le parti fasciste de Jacques Doriot. Alexis Carrel pensait en effet que « la loi de l’effort, surtout, doit être obéie. La dégénérescence du corps et de l’âme est le prix que doivent payer les individus et les races qui oublient cette nécessité. » Le biologiste français dénonçait la société urbaine et industrielle comme responsable de la dégénérescence de l’homme et déplorait le fait que la civilisation moderne conduisait « à l’abus de confort et à l’amollissement de l’existence », de telle sorte que « les enfants et les jeunes gens élevés dans l’ignorance de l’effort sont-ils devenus des sous-hommes trop faibles pour maintenir la civilisation ancestrale ». Dans son article, Pierre Gevaert se fait l’écho des mêmes préoccupations que celles de Carrel, en affirmant « que c’est par le sang neuf venu des campagnes que la race humaine a su se renouveler. En effet, dans la ville, le potentiel de l’homme diminue et la femme devient moins fertile ». Et il conclut : « Les difficultés rencontrées formeront une race forte capable de survivre et de guider les autres. »

Il est important de souligner que Pierre Gevaert persiste encore et toujours aujourd’hui avec la même idéologie. Dans un ouvrage paru en 2009, il réaffirme cette loi de l’effort et explique qu’à propos du labeur, nous sommes devenus des « dégénérés », rappelant avec nostalgie : « Nos ancêtres paysans et artisans étaient bien plus musclés que nous, des sacs de 100 kilos leur semblaient léger à porter ! » Et dans une conférence qu’il a donnée en 2008, il affirmait à nouveau que « la vie dure crée des gens forts ». De plus, Pierre Gevaert milite encore pour un retour massif à la campagne, faisant l’éloge des petites communautés et le contrôle social qui y est exercé pour éviter les déviances. Prenant comme exemple les communautés noires sahéliennes, il écrit dans La famine mondiale est imminente : « C’est bien la raison pour laquelle il y a, dans ces régions, si peu de dérives puisque tout instinct, toute propension à s’écarter d’une ligne morale et sexuelle considérée comme normale ou naturelle, est aussitôt redressé ou découragé. Découragé par qui ? Par tout membre de la communauté villageoise composée en fait de « mille z’yeux » qui voient tout et qui veillent à préserver la survie et l’harmonie de tous. » Il rejoint là les idées de feu Teddy Goldsmith, le très conservateur fondateur de L’Ecologiste, selon lesquelles il fallait revenir à de petites communautés où l’ordre social serait assuré par le « potin méchant ». Toujours dans son exposé de 2008, Pierre Gevaert préconisait, dans son retour à la campagne, le travail des enfants : « Les jeunes doivent pouvoir accéder au métier très très très jeunes. En Afrique, ils accèdent au métier tout de suite. (…) Les garçons qui conduisent le cheval, et ils font tout en rigolant car là on rigole beaucoup. Ils s’amusent en travaillant. D’ailleurs, nous aussi, quand on était jeunes, on s’amusait en travaillant. » Enfin, pour terminer en beauté, mentionnons cette analyse lumineuse de Pierre Gevaert sur le Sénégal où il a mené des projets « d’éco-agriculture » : « La famine est déjà présente. Je ne comprends pas comment ils tiennent. En fait, ils tiennent vous savez comment ? En maigrissant. Ils sont maigres. Il y a très très très peu de gros. Ils sont tellement habitués à se serrer la ceinture… je ne peux pas dire qu’ils sont en mauvaise santé. La mauvaise santé qu’ils ont vient du sucre. Le sucre blanc, chimique, est un malheur pour ces gens. » Comment disait déjà Philippe Desbrosses ? Ah oui : « visionnaire » !

Sources

  • Pierre Gevaert, « Retourner à une civilisation agraire ou périr », Nature & Progrès, 10e année, juillet-août-septembre 1973, n°3.
  • Alexis Carrel, L’homme, cet inconnu, Librairie Plon, 1935.
  • Alexis Carrel, Réflexions sur la conduite de la vie, Librairie Plon, 1952.
  • Conférence organisée par Nature&Progrès Belgique le 10 avril 2008, http://video.google.com/videoplay?docid=2988506686121311460#
  • Pierre Gevaert, La famine mondiale est imminente, Ed. Alphée, 2009.

19 commentaires sur “Les racines réac’ des précurseurs du bio : le cas de Pierre Gevaert

  1. Les légumes et les céréales bio qui poussent sans pesticides progressistes de synthèses sont-ils réac’?

  2. José.B dit :
    26 août 2011 à 18:14
    Les légumes et les céréales bio qui poussent sans pesticides progressistes de synthèses sont-ils réac’?

    *** Et José B. est-il le roi des cons?

  3. « Tout dégénère dans la grande ville, tout régénère à la campagne.  »

    *** Il a dû passer pas mal de temps en ville avant de pondre son ouvrage……

  4. Alexis Carrel était un adepte et un promoteur de l’eugénisme! Personnage peu fréquentable mais …. Lisez ou relisez le bouquin de Gil Riviere-Wekstein pour en savoir un peu plus sur les origines du mouvement écologique et des douteux personnages se l’époque…..

  5. J’ai vraiment l’impression de lire le programme de Pol-Pot….
    Ou celui de Mao lançant sa « Révolution agraire », qui fit près de 30 millions de victimes…

    Réac. je sais pas, fachos surement, coco absolument mais surtout Débile et anti-humains….

    Juste pour la réflexion: quelle est la durée de vie des éco-villages?
    Pourquoi si ce système est si bon et si performant ne c’est-il pas développé de lui-même, en plus de 50 ans de militantisme?

    1. 3M seulement, il faut dire qu’il n’y avait que 8M d’habitant au Cambodge à l’époque, c’était difficile de faire mieux. En terme de % de mortalité ça reste un record qui sera très difficile à battre.

  6. j’oubliais un point essentiel à mon avis:

    « il réaffirme cette loi de l’effort »

    C’est bizarre car en biologie – écologie c’est exactement le contraire. Toutes les espèces appliquent la loi du Moindre Effort.
    C’est à dire l’action qui maximisera les chances de réussite pour un individu, et donc son espérance de survie.

    En gros, moins je fais d’effort pour obtenir ma pitance, mieux je vis…

    Pour de prétendus écologistes, chantres de l’agriculture bio…. ils ont vraiment rien compris à l’écologie.

  7. « En maigrissant. Ils sont maigres. Il y a très très très peu de gros. Ils sont tellement habitués à se serrer la ceinture… »
    La MMR nous a fait le même coup dans son reportage sur l’Inde…
    Bref, ils se recyclent les uns les autres.
    Personne ne sort de la droite ligne de leurs pensées « Vertes », puisqu’ils sont une petite communauté et se regardent tous du coin de l’œil….

  8. Le caractère réactionnaire Pierre Gevaert est une évidence patente, la peur et le refus du progrès : une impasse. Cela dit au moment où les propos sont tenus, ils font référence à la promotion d’un système qui fonctionne dans certaines régions laissées en marge de l’aménagement du territoire : petites communauté rurales qui fonctionnent pour partie en autarcie.

    La folie de certains penseurs écolo bobo est de promouvoir le retour sur certains des modes de vie de l’époque ( sans les contraintes morales et sociales) avec une population qui vit avec les outils de la fin du XXème siècle, mais aussi nombre de ses vices, dont celui de la consommation débridée sur un territoire qui a perdu les moyens de son autarcie. Le commerce local, les artisans, le tissu de petites et moyennes industries ayant disparu des campagne pour se concentrer aux abords des villes la projection dans les années 60 est impossible.

    Le programme de Pierre Gevaert plus que discutable, représente une impasse mais est cohérent, par rapport à une époque, par rapport à une vision empreinte de la pensée de Giono qui bien qu’hostile au progrès reste lui attaché aux Hommes dans leur diversité.

    Le programme des écolobobos qui se réclament de Pierre Gevaert est tout simplement invraisemblable.

    Je ne rejetterai pas la vision de noyaux urbains de taille limitée reliés entre eux, que constituent les bourgs et les villages, en opposition à la grande ville et au monstre urbain. Derrière ce que proposent certains aménageurs, également portés par une logique écolo bobo, mais basée sur d’autres paramètres, on peut retrouver aussi le fantasmes de vrai fadas, dont le dictateur Ceaucescu et ses projets d’urbanisation forcés.

    90 % de la population dans les grandes villes , 1 à 2 heures pour aller au travail en transport en commun et autant pour en revenir, un logement au prix exorbitant et d’une taille ridicule, sans espace vert privatif ne me parait pas être la quintessence du bonheur promis aux générations post modernes.

    Le film « soleil vert  » produit dans les années 70, démenti par l’étalement urbain, contestable dans sa réalisation désordonnée 10 ans plus tard, revient au premier plan avec certains programmes de densification urbaine, à base de tours et de grands immeubles et les émeutes anglaises de ces dernières semaines.

    Le miracle chinois et ses citées immenses pour des travailleurs au rabais, n’est certainement pas un modèle non plus.

  9. Alzine : « Le film « soleil vert » produit dans les années 70, démenti par l’étalement urbain, contestable dans sa réalisation désordonnée 10 ans plus tard, revient au premier plan avec certains programmes de densification urbaine, à base de tours et de grands immeubles et les émeutes anglaises de ces dernières semaines »
    ——————–
    Faut arrêter de dire n’importe quoi aussi. Les émeutes n’ont rien à voir avec la densité, parce que si on suivait ce genre de superstition débile, on devrait avoir des émeutes tous les jours à NY, Austin, Hong Kong, Singapour, Tokyo, Mexico…
    Je me sens bien plus en sécurité pour moi et mes enfants à Hong Kong ou à Séoul, ou même dans le métro de New York que dans la Nièvre ou en Corse.
    Quant au bonheur supposé des gens, laissez moi rire, c’est en campagne qu’on se suicide le plus, pas à la ville. Mais visiblement, pour nos petits génies auto-proclamés qui sont persuadés qu’ils savent comment faire le bonheur des gens, la réalité et les faits ne comptent pas.

  10. « 90 % de la population dans les grandes villes , 1 à 2 heures pour aller au travail en transport en commun et autant pour en revenir, un logement au prix exorbitant et d’une taille ridicule, sans espace vert privatif ne me parait pas être la quintessence du bonheur promis aux générations post modernes.

    Le film « soleil vert » produit dans les années 70, démenti par l’étalement urbain, contestable dans sa réalisation désordonnée 10 ans plus tard, revient au premier plan avec certains programmes de densification urbaine, à base de tours et de grands immeubles et les émeutes anglaises de ces dernières semaines. »

    C’est exactement le but de SCOT mise en place par les lois Grenelle.
    Interdire l’étalement urbain, concentrer les habitants dans les centres villes. Et cela en interdisant la mise en place de transports en commun entre les communes proches des grands centres urbains, en créant des zones strictement interdite à la construction, et le pire, en dépossédant les petites communes de leurs prérogatives de gestion de leur territoire. Maintenant cela passe par des commissions dans lesquelles siège les écologistes (au travers des ONG et autres associations…).

  11. Le passage sur le mil bio qui pourrait prévenir du sida (39ème min) fait froid dans le dos.

  12. Il y a eu hier un (tout) petit reportage sur le bio sur Arte qui pour une fois était assez objectif (les media vont-ils enfin ouvrir les yeux ?) :

    Focus – Le bio est entré dans l’ère du soupçon
    Après le scandale sanitaire de la bactérie E-coli en Allemagne, Global a décidé de mener l’enquête. On pensait que l’agriculture bio était synonyme de bonne santé, mais elle est aussi plus sensible au risque microbien. Et pas toujours idéale pour l’environnement.

    http://global.arte.tv/fr/2011/09/21/sommaire-du-mercredi-21-septembre/

    à noter que les commentaires sont à peu près aussi amusants que chez MMR…

    1. J’ai mis un commentaire à cet article. Je crois que c’est le premier à ne pas être « dans la ligne » (celle de la bien-pensance bio-écolo) ! J’espère qu’il va f.utre le b.rdel !

    1. Heureux de vous retrouver et d’avoir de vos nouvelles ! Les moissons et les vendanges se sont bien passées ? J’espère que ce n’est pas un problème de santé qui nous a privé de votre participation.

      Bien à vous.

      1. Bonsoir Laurent

        Je n’ai aucun problème de santé(pour le moment!!).La moisson s’est bien passée malgré quelques déceptions dans la récolte des cultures de printemps lièes au climat mais si je reconnais être un agriculteur assez privilégié par la nature de nos sols de craie,facile à travailler et offrant en général de bons rendements,je n’ai pas la chance d’être vignerons « champenois »!!!.
        Je ne suis plus aussi assidu sur AE qu’auparavent,je n’ai plus trop de temps à y consacrer et c’est plus intéressant et stimulant lorsque les « adversaires » sont « coriaces » ,tout l’inverse de notre  » José B ».
        L’hiver est pour bientôt,je devrais avoir un peu plus de temps libre pour vous rejoindre sur ce forum.
        Bien cordialement L’agri du 51

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