José Bové

Opération roquefort à Seattle

Pour devenir une figure emblématique de la lutte internationale contre la mondialisation, José Bové voulait éviter de se laisser enfermer dans l’image du franchouillard anti-américain défendant son terroir contre la malbouffe. Bové imagine alors, après son action contre le McDo, que des opposants américains à la mondialisation puissent être sollicités pour payer sa caution dans le procès de Millau. Comme le relate Denis Pingaud, Bové « en parle à François Roux (son avocat), qui appelle derechef Pierre Vuarin, l’homme des réseaux internationaux. » Pierre Vuarin, ancien des comités Larzac et de la Gauche ouvrière et paysanne, est l’un des responsables des questions agricoles à la Fondation Charles-Léopold Mayer pour le progrès de l’homme (FPH), une riche fondation française de droit suisse qui finance plusieurs associations opposées aux OGM et à l’agriculture conventionnelle. L’un des programmes piloté par Vuarin a comme objectif de « freiner et arrêter le développement d’agricultures productivistes, consommatrices d’énergie, polluantes, productrices d’aliments standardisés et souvent budgétivores des subventions publiques ». Pierre Vuarin vient immédiatement à la rescousse de son ami Bové en appelant Mark Ritchie et Hal Hamilton, deux défenseurs des petits paysans américains, lesquels mobilisent leurs propres réseaux. En tout, 30.000 francs seront récoltés par les amis américains. Mais Pierre Vuarin n’arrête pas là son aide : il sera l’artisan du succès du voyage de Bové à Seattle fin 1999, dans le cadre des fameuses manifestations anti-OMC, essentiel dans la construction du mythe Bové. Pierre Vuarin raconte ainsi : « Nous avons préparé Seattle avec la Confédération paysanne (…) et José Bové (…), les partenaires Américains (IATP, National Family Farm Coalition, Friends of the Earth, etc.) », tout en se félicitant que « l’impact a été énorme à Seattle et aux USA ». Le principal coup médiatique a été pour José Bové de brandir un roquefort devant un public de militants antimondialisation, une opération dont la paternité est revendiquée par Pierre Vuarin.
L’aide précieuse de la FPH pour aider José Bové aux Etats-Unis n’est pas anodine. Pierre Calame, le président de la FPH, rêve depuis longtemps de contribuer à établir une nouvelle gouvernance mondiale et remet en cause, à l’instar d’un Bové, ce qu’il appelle la « fiction » de l’Etat-nation souverain : « L’architecture de la gouvernance mondiale ne peut se concevoir sans une refondation des Etats nationaux eux-mêmes, sans une redéfinition de leur rôle, de leurs modalités de fonctionnement et de leur articulation avec les autres ordres politiques. » Pour Pierre Calame, les ONG constituent un acteur indispensable dans cette nouvelle gouvernance pour tacler le pouvoir des Etats. Il affirmait ainsi que « les instances multinationales avaient bien besoin (de la société civile) pour sortir de leur face-à-face avec les Etats ». Il est par ailleurs intéressant de soulever que l’un des proches conseillers du président de la FPH sur cette question de nouvelle gouvernance s’appelle Georges Berthoin, un fédéraliste européen convaincu qui a surtout été pendant dix-sept ans président européen de la fameuse Commission trilatérale, un puissant réseau d’influence créé par le financier David Rockefeller en 1973 et dont les travaux portent justement sur l’élaboration de critères pour une « nouvelle gouvernance internationale ». Quant à Pierre Vuarin et Hal Hamilton, les deux amis de José Bové, ils sont engagés depuis 2003 dans un projet partiellement financé par la FPH, baptisé « Sustainable Food Laboratory » (Food Lab) « qui associe des grandes entreprises agroalimentaires, des responsables politiques, des représentants de la société civile au niveau international, afin de faire évoluer des systèmes alimentaires vers plus de durabilité ». On trouve parmi les partenaires de ce projet : Unilever, JP Morgan Chase, Rabobank International, la Fondation Shell, etc. Bref, que des grands amis du militant altermondialiste…