La face cachée de Greenpeace

Les nouveaux habits de Greenpeace

Après l’ère McTaggart, Greenpeace va vouloir se donner une image plus sérieuse et, à l’instar du WWF, essayer de devenir un interlocuteur dans les négociations tant avec les entreprises qu’avec les pouvoirs publics. En 1991, Thilo Bode, l’influent directeur de Greenpeace Allemagne et futur dirigeant de Greenpeace International, déclare en effet : « Nous sommes un groupe de pression politique, pas une association de randonneurs. » Depuis une dizaine d’années, Greenpeace s’est investi dans un travail considérable d’expertise et de lobbying, complémentaire aux coups médiatiques. En 2001, Maurice Strong, premier directeur du Programme des Nations unies pour l’environnement, a salué cette évolution dans son livre Ainsi va le monde : il estime en effet que Greenpeace a « posé quelques gestes constructifs, bien que moins connus, telle l’élaboration d’énoncés de politiques crédibles et professionnels au sein de plusieurs organisations internationales ». Il conclut que « Greenpeace a joué un rôle considérable en politisant des enjeux et en ralliant l’appui politique. » Ce changement de stratégie a été spectaculaire lors de la conférence de Johannesburg en 2002. Greenpeace a en effet signé avec le World Business Council for Sustainable Development, réunissant 160 grandes multinationales, un texte appelant les gouvernements à appliquer intégralement le protocole de Kyoto. Vu par certains comme une compromission de la part de Greenpeace, son directeur, Gerd Leipold, a rappelé : « Nous n’avons pas d’alliés ni d’ennemis permanents. On peut faire une alliance exceptionnelle avec le Big Business et, le lendemain, dénoncer la politique du chimiste américain Dow Chemical. »

Si le rôle de Greenpeace dans la négociation des politiques environnementales est désormais reconnu, il est aussi décrié par certains acteurs clés du monde de l’environnement. Citée par Antoine de Ravignan, Laurence Tubiana, directrice de l’Institut du développement durable et de relations internationales, estime que cette capacité réelle à peser sur le cours des débats confère à Greenpeace – et aux ONG en général – « de nouvelles responsabilités », qu’elles n’assument pas toujours. Elle fait référence à l’échec des négociations sur la mise en œuvre du protocole de Kyoto à La Haye en novembre 2000. Alors qu’un accord était en vue, les ONG, dont Greenpeace, ont mené un lobbying intense contre des mécanismes d’assouplissement tels que les puits de carbone, qui faisaient, selon elles, la part trop belle aux exigences américaines. Or, pour Laurence Tubiana et d’autres observateurs, le résultat a été que la base sur laquelle les Etats ont négocié par la suite était encore plus en retrait.