Conspirationnisme et milieux alternatifs


Depuis quelques années, on constate une fâcheuse tendance des milieux écologistes et altermondialistes à construire leur analyse géopolitique sur des fondements très proches du conspirationnisme. Mais qu’entend-on par « conspirationnisme » ou « théorie du complot » ? Il faut tout de suite le distinguer du complot en tant que tel qui est une action préparée secrètement pour assurer son efficacité. On pourrait dire par exemple qu’un gouvernement complote pour mener à bien une libération d’otages ou que les Faucheurs Volontaires complotent pour aller détruire des champs d’OGM. Dans un cas comme dans l’autre, la transparence de leurs actions les mènerait à l’échec.
En revanche, la « théorie du complot » est une vision du monde, décrite ainsi par Pierre-André Taguieff : « Les adeptes de la théorie du complot croient que le cours de l’histoire ou le fonctionnement des sociétés s’expliquent par la réalisation d’un projet concerté secrètement par un petit groupe d’hommes puissants et sans scrupules, une super-élite internationale, en vue de conquérir un ou plusieurs pays, de dominer ou d’exploiter tel ou tel peuple, d’asservir ou d’exterminer les représentants d’une civilisation. » Et à propos des altermondialistes, il ajoute : « La mondialisation est souvent aujourd’hui dénoncée par ceux qui prétendent parler au nom du peuple sous l’angle de la conspiration universelle. Les “véritables maîtres du monde“, c’est-à-dire les puissances ou puissants invisibles censés contrôler tous les aspects de la vie des humains, seraient derrière la mise en place d’un nouvel ordre mondial favorable à leurs intérêts. »
Pour étayer ses affirmations, le complotiste va accumuler une grande quantité de faits, souvent exacts, afin de créer un système cohérent et logique, en excluant évidemment tout ce qui pourrait ébranler l’édifice. Il écarte aussi volontairement toute complexité, considérée par lui comme un écran de fumée destiné à dissimuler la vérité du complot. On se retrouve également dans un monde manichéen, une bataille entre le Bien et le Mal. Comme le précise Taguieff, « la théorie du complot fonctionne de concert avec la diabolisation ». Il est d’ailleurs assez ironique de voir que les écolo-altermondialistes utilisent régulièrement les mêmes schémas de pensée conspirationnistes que ceux de la droite américaine conservatrice. La seule différence réside dans l’identification du Mal. Pour George W. Bush, l’Axe du Mal est l’Iran, l’Irak et la Corée du Nord ; pour les écologistes, l’Axe du Mal est plutôt incarné par Monsanto, Bayer et Total. De même qu’à l’époque du maccarthisme, toute personne divergeant sur la politique officielle américaine était directement soupçonnée d’amitiés communistes ; aujourd’hui, tout scientifique ou journaliste ne s’inscrivant pas systématiquement dans le catastrophisme environnemental ambiant est soupçonné par les écologistes d’être à la solde des multinationales pollueuses.
Reste que la théorie du complot, par son approche simplificatrice du monde, est d’une redoutable efficacité et très compliquée à contrecarrer. Comme le dit l’historien Jean-Baptiste Thoret, il y a « impossibilité objective de contrer toutes ces théories : dans la bulle autiste du conspirationniste, la vérité ne s’oppose pas au mensonge, mais l’amplifie. Par conséquent, aucune preuve, même la plus indiscutable, ne pourra jamais assécher le désir de complot puisque celui-ci se nourrit précisément de ce qui le contredit. »

Les militants anti-OGM ne sont pas épargnés par la conspirationnite aiguë

De fait, les milieux anti-OGM semblent assez réceptifs à cette vision conspirationniste du monde. Ainsi, le site de référence anti-ogm.info a été créé par AtMOH, « artiste et journaliste-citoyen », par ailleurs responsable de l’association française ReOpen911, l’une des principales associations défendant les thèses conspirationnistes au sujet des attentats du World Trade Center. De même, la comédienne Marion Cotillard, active sympathisante de Greenpeace, a récemment défrayé la chronique en défendant les thèses conspirationnistes sur le 11 septembre. Dans un registre similaire, le militant anti-OGM Eric Boutarin, animateur de la « télévision paysanne » proche des Faucheurs Volontaires, s’imagine dans X-Files, persuadé que « la vérité est ailleurs ». Pour lui, en effet, les fameux crop-circles ne seraient pas tous créés par l’homme et relate ainsi son enquête dans un champ de blé gravé de ces signes troublants : « J’ai passé la nuit sur place, les batteries de ma caméra et de mon appareil photo ce sont anormalement vidées, ce qui est un phénomène connu sur ce type de site… J’ai expliqué à l’un des agriculteurs pas mal de choses sur l’envers du décor d’un système qui nous ment et sur ces agroglyphes, il acquiesçait en citant en exemple Monsanto… »
Et justement à propos de Monsanto, nous avons la journaliste Marie-Monique Robin qui a diabolisé cette multinationale dans un livre et un reportage, car responsable « d’un vaste projet hégémonique menaçant la sécurité alimentaire du monde, mais aussi l’équilibre écologique de la planète ». Ni plus ni moins. Nicolas Hulot, dans la préface qu’il a écrite pour l’ouvrage de Mme Robin, se défend lui d’être « un adepte de la théorie du complot », pour s’y adonner gaiement juste après en se demandant « s’il faut continuer à permettre à une société comme Monsanto de détenir l’avenir de l’humanité dans ses éprouvettes et d’imposer un nouvel ordre agricole mondial ». De même, Guy Kastler, des Amis de la Terre et de la Confédération paysanne, ne manque jamais de dénoncer la Fondation Rockefeller, la Fondation Bill Gates et autres multinationales dont « leur objectif de fond est de contrôler l’alimentation mondiale, de faire disparaître les paysans, de les intégrer dans une machinerie que les multinationales contrôlent en contrôlant les semences et en éradiquant la biodiversité. » « Car, ajoute-t-il, l’éradication de la biodiversité fait partie de ce schéma. »
Quant à José Bové, après avoir dérapé une première fois en avril 2002, où il avait dénoncé la main du Mossad derrière la vague d’agressions ciblant des lieux de la communauté juive en France, il récidive en préfaçant le livre OGM : semences de destruction de l’Américain William Engdahl (JCG, 2008). Avant même d’être critiqué, il prend les devants dès le début de sa préface : « Avec OGM : Semences de destruction, l’arme de la faim, ne risque-t-il pas d’être accusé de conspirationnisme ? Pourtant, ceux-là mêmes qui crient au complot avec la détermination de caste qui les unit, s’emploient à développer une multitude d’applications qui n’ont pour objectif que le rendement financier à court terme. (…) Est-ce entretenir la théorie du complot que de dénoncer l’abus, à notre porte, de l’usage des nanotechnologies au détriment, tout simplement, de la science et de ses bienfaits ? » Il répond lui-même : « Non, avec William Engdahl, il ne s’agit pas de théorie du complot, ni de paranoïa anti-américaine, mais de l’éclairage méthodique et argumenté de choix politiques parfois anciens, fondés sur une conception du monde qui nie le vivre ensemble tout en prévoyant les affrontements qui peuvent en résulter. » A force de crier haut et fort que livre n’est pas conspirationniste, cela suscite des interrogations, voire des doutes. Et puis quand on lit l’ouvrage, on est rassuré ! On n’a plus aucun doute, il s’agit bien de théorie du complot, ce que nous dévoilerons dans la suite de ce dossier.

Sources
Pierre-André Taguieff : ici

José Bové cité dans Libération, 3 avril 2002. José Bové a par la suite regretté à plusieurs reprises ses propos.
Jean-Baptiste Thoret : «Grand complot», dans Charlie Hebdo, mercredi 28 février 2002, pp. 2-3