Le bio et le cancer : déméler le vrai du faux

Partager sur : TwitterFacebook

Une étude publiée dans la revue scientifique JAMA, réalisée par des chercheurs de l’Inra, fait parler d’elle depuis plusieurs jours. En effet, en suivant près de 69 000 personnes entre 2009 et 2016, les chercheurs ont décelé 25% moins de cancers chez les personnes mangeant du bio. De quoi affoler des médias 1° parfois de mauvaise foi, 2° souvent incompétents, 3° en réalité peu divers (leurs journalistes sont en immense majorité des urbains plus tournés vers le bio que la moyenne des Français) 4° toujours avides de buzzes. « Mais gare aux conclusions hâtives » alerte Grégory Rozières dans Le HuffPost.

Tout d’abord, il faut savoir que

souvent, les personnes qui mangent bio sont aussi celles qui sont moins sujettes aux risques de cancer, comme l’ont montré de précédentes études : moins souvent fumeurs, moins en surpoids ou obèses, un meilleur équilibre alimentaire, moins d’antécédents familiaux, plus de diplômes.

Mais les chercheurs de l’Inra disent avoir justement pris en compte ces éléments pour « corriger » le résultat. Tous les biais sociétaux peuvent-ils avoir été compensés ? Sans doute pas, ne serait-ce que parce qu’ils ne seront jamais tous connus, mais c’est un bon début.

Que dit précisément l’étude ?

Qu’il n’y a aucune incidence (ou très faible) de la consommation de produits bios sur le cancer… « excepté possiblement pour les lymphomes non-hodgkiniens ».

« Possiblement ». En effet,

si 70 000 personnes, cela semble beaucoup, il n’y a eu que 1340 cancers. Dans le détail, 2,2% des personnes du groupe ne consommant pas de produits bio ont été touchés, contre 1,6% pour celui consommant le plus de produits bio. Et sur les lymphomes non-hodgkiniens, c’est encore plus limité : moins 50 personnes ont contracté ce type de cancer.

Ces observations « sont basées sur un faible nombre mais sont similaires aux résultats de la seule précédente étude [publiée en 2014 par Nature, réalisée sur 623 000 femmes, ndlr] », estime toutefois Tim Key, professeur d’épidémiologie de l’université d’Oxford.

Autre nuance, que ne saisissent pas la plupart des médias, la différence entre « corrélation » et « causalité ». En effet, rappelle Le HuffPost,

Une corrélation peut-être due à de nombreux facteurs extérieurs et ne veut pas dire causalité. Il y a même un site qui répertorie des corrélations qui n’ont aucun rapport.

En termes scientifiques, on ne peut donc pas parler de preuve :

Il faudrait des cohortes encore plus importantes, suivies pendant encore plus longtemps. Et même des études « à l’aveugle » où l’on vérifie en détail ce que mange chaque personne et son mode de vie, ce qui est difficile à mettre en place sur le long terme. C’est ce que la majorité des chercheurs qui se sont exprimés sur le sujet, sur les réseaux sociaux ou ailleurs, appellent de leurs vœux.

Par contre, ce qui est prouvé, c’est l’impact d’autres facteurs, comme le poids, l’activité physique ou la diète, sur le risque de cancer. Par exemple, consommer des fruits et des légumes non transformés diminue les risques de cancer.

Le risque avec ce genre d’études que ne comprennent pas, donc déforment les médias, c’est de décourager la consommation de fruits conventionnels, sachant que « les produits biologiques sont souvent plus chers et inaccessibles à de nombreuses personnes ». Donc en réalité d’augmenter le nombre de cancers chez ceux que les compte-rendu médiatiques effraieront et qui cesseront du coup de consommer des fruits…

5 commentaires sur “Le bio et le cancer : déméler le vrai du faux

  1. Il est surprenant que la direction de l’INRA ait laissé publier une telle étude avec de telles conclusions sans nuances.

    Pour aller dans le sens de certains politiques ou pour laisser apparaitre ce que sont une partie de ces « chercheurs ».

    Un jour prochain, il est possible que soit clairement établi que le bio est un objet de diversification de l’agriculture et de bénéfice pour les seules petites structures qui peuvent bénéficier de prix plus élevés, d’un démarquage commercial.
    . En fait qu’il s’agirait seulement d’une production aux vertues sociologiques voire économiques pour de très petites exploitations qui disposent de pas mal de main d’oeuvre et de peu de capital (j’accepte cette représentation de l’intérêt de l’agriculture bio, parce qu’un marché solvable existe en France) .

    Montrant ainsi que le bio n’apporte rien en terme de santé du consommateur (voire avec les graines des datura ou les E coli et autres contaminants des légumes fertilisés avec de l’azote organique peut présenter un risque) et même peut être discutable sur le plan environnement ( labour et sulfate de cuivre).

    Toutes ces études seraient alors à ranger aux rayons des productions d’une recherche devenu presque folle, comparable au lyssenkisme de la période stalinienne. Une restauration d’une forme de mitchourinisme de la période Lyssenko en quelque sorte.

    Il ne sert à rien pour un institut technique s’occupant d’agriculture de réhabiliter Nikolaï Ivanovitch Vavilov et de produire des publications de cette nature.

    Pas d’accord toutefois sur les commentaire de CNN, ils sont excellents, on y trouve une destruction de l’étude et de ses auteurs sans concession mais avec beaucoup de délicatesse.

    https://edition.cnn.com/2018/10/22/health/organic-food-cancer-study/index.html

    « The authors theorize a « possible explanation »  »

    « Dr. Jorge E. Chavarro, an associate professor in the Department of Nutrition at Harvard T.H. Chan School of Public Health, said in a podcast that the new study is « incredibly important. » »

    « theorize » et « incredibly important », vous savez lire entre les lignes? donc c’est une évaluation TERRIBLE pour l’étude et ses auteurs.
    Et par voie de conséquences, une bonne partie de la recherche française et ce qu’elle produit.

    1. L’étude n’apporte pas de conclusions tranchées, ce sont certains médias qui éludent les avertissements, le conditionnel, etc. et qui présentent une information ssimolifiée à l’extrême (et fausse…)

  2. La presse française et les journalistes qui la desservent sont dans une situation de déni de la réalité.
    Cet interview par exemple: http://www.leparisien.fr/societe/pesticides-il-y-a-bien-plus-de-cancers-de-la-prostate-en-milieu-agricole-27-10-2018-7929459.php
    « L’étude Agrican qu’il pilote a démontré qu’il y avait globalement moins de cancers dans le milieu agricole que dans le reste de la population : -8 % chez les hommes, -6 % chez les femmes, entre 2005 et 2013. En revanche, si l’on regarde dans le détail, plus de cancers de la prostate (+ 7 %) et de l’ovaire (+ 6 %). »
    Lorsqu’on lit la production d’agrican, officielle et non pas évoquée par un canard national:
    http://cancerspreventions.fr/wp-content/uploads/2014/12/AGRICAN.pdf
    La cohorte Agrican c’est -18 % de cancer de la prostate et non pas +7% .
    Ce sont d’autres études américaines qui donnent cette tendance « Par contre, les agriculteurs de cette cohorte étaient plus souvent touchés par des cancers de la prostate (19% de plus qu’attendu) – Pour les myelomes il faut voir du coté des solvants mais dans ce cas, s’inquiéter pour les professions de peintre, employées des salons de maquillage et de coiffure, blanchisseries, mécaniciens mais aussi toute personne travaillant à proximité des carburants pétroliers qui contiennent des solvants organiques à l’instar de l’essence dont on nous vante les mérites par rapport au diesel.
    En outre la moindre incidence des cancers dans l’étude Agrican est de -30% chez les hommes et -24% chez les femmes et les éleveurs ne viennent pas réduire le taux d’incidence puisque la proximité des animaux est aussi en cause que celle des pesticides.
    On peut réellement se poser la question de la vie citadine sur l’exposition aux agents cancérigènes, des rues insérées au milieu des immeubles et de la pollution de transports en commun notamment souterrains.

  3. Toutefois effectivement c’est l’étude d’une cohorte particulière qui conduit a observer une prévalence correspondant aux +7% de cancer de la prostate dont on peut douter du caractère significatif- cf Innovations Agronomiques 46 (2015), 136-146
    Il est rappelé dans cette étude publiée en 2015 : « très peu de facteurs de risque ont été établis pour le cancer de la prostate : le vieillissement, l’origine ethnique(les afro-américains sont plus touchés) et les antécédents familiaux de cancer de la prostate.  »
    Dans les travaux relatés ce sont les éleveurs qui sont les plus exposés à ce cancer.

Les commentaires sont fermés.