Le documentaire « engagé » en 9 leçons !

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Aurélien Le Genissel a signé il y a quelques jours un article intéressant sur le site Slate intitulé « Comment réussir son documentaire engagée ? » Il nous offre un décryptage des techniques utilisés par les société de production qui surfent depuis quelques années sur la business de la peur.  Il appui son propos sur les films comme « Une vérité qui dérange » d’Al Gore ou « Plastic Planet ».

Donc, pour faire un documentaire « engagé », la recette est simple :

1/ Le narrateur

« Une figure inévitable pour bien insister sur la dimension moralisatrice, pédagogique et évidente des propos défendus par le documentaire. On pourrait penser qu’un documentaire, dans son aspiration idéale de documenter, ne devrait pas avoir besoin d’un narrateur. Au contraire, aujourd’hui, les documentaires les plus virulents utilisent cette figure comme s’il s’agissait d’un conte pour enfant, où la voix et/ou le texte explique de manière redondante ce que l’on voit déjà à l’écran. »

2/ Des images chocs

« Ou plutôt le choc des images. Une technique de montage, assez similaire au fameux Effet Koulechov, qui consiste à opposer de belles images sentimentales et poétiques à la triste et sale réalité. Concrètement, cela donne des dissertations philosophiques près de la rivière suivies d’eau du robinet pleine de gaz qui explose quand on approche un briquet (Gasland), des promenades sur les berges ensoleillées de la Seine puis des plages bretonnes pleines d’algues vertes (Water makes money) ou (plus subtil) l’image du désert où a été filmé Laurence d’Arabie envahi par les sacs plastiques ou l’«Ile de la Nature», au Japon, devenue un vrai dépotoir (Plastic Planet). »

3/ Un bouc émissaire

« Pas de bon documentaire engagé sans bouc émissaire. De préférence un ou plusieurs représentants de ce que l’on appelle «une grosse industrie» ou «les grands groupes».Morgan Stanley, Veolia, Goldman Sachs, General Electrics ou Halliburton font très bien l’affaire, dans les cas qui nous occupent. »

4/ Le cas particulier

« Indispensable pour une bonne identification du spectateur, ce qui permet d’incarner de manière claire les propos abstraits que l’on veut dénoncer.

L’effet est encore plus fort si le narrateur introduit quelques images familiales et un petit historique personnel (que tout le monde peut s’approprier) et multiplie les exemples concrets, comme dans Gasland. »

 

5/ Des chiffres incroyables

« Rien ne vaut, dans un bon documentaire, une donnée statistique presque incroyable ou un schéma ahurissant. L’effet est garanti: la simplicité des chiffres et de l’argument allie l’efficace et le spectaculaire. Quitte à simplifier quelque peu le débat.

A ce petit jeu-là, c’est Inside Job qui remporte la palme: 150 milliards de dollars payés par les contribuables pour sauver AIG, un plan de sauvetage de 700 milliards ou des indemnités de 151 millions de dollars pour le PDG de Merrill Lynch sont quelques-uns des nombreux chiffres abondamment mis en avant dans le documentaire. »

 

6/ Les experts

« Essentiels pour légitimer le propos du narrateur, ils forment un groupe aussi indispensable qu’improbable. Et, surtout, qui légitime les experts? On peut les diviser grossièrement en deux sous-catégories: les visionnaires, qui avaient anticipé le désastre, et les «traitres», qui en parlent malgré leur ancienne responsabilité. Raghuram G. Rajan, Nouriel Roubini, Allan Sloan (Inside Job), Fred vom Saal (Plastic Planet) ou Patrick du Fau de Lamothe (Water makes Money) font partie du premier groupe.  »

 

7/ Le conflit d’intérêts

« Un conflit d’intérêts dans un documentaire engagé, c’est comme le petit copain dans une comédie romantique: ça sert à bien exaspérer le public. »

8/ Simplicité visuelle

« Le documentaire engagé est surtout friand de plans fixes, pour les interviews, et de plans aériens (d’usines, gros immeubles, paysages…), qui transmettent bien l’idée que l’on se trouve englouti par une société qui nous dépasse. Point (presque) final. »

9/ « Les choses sont très compliquées »

« LA phrase qui agace le spectateur. Répétée dans Inside Job par David McCormick, sous-secrétaire du Trésor américain, dans Gasland par John Hanger, du DEP (Département de protection de l’environnement) de Pennsylvanie, et dans Water makes Money par le maire de Brunswick. Effet immédiat qui alimente la théorie du complot (déjà bien nourrie par le bouc émissaire et le conflit d’intérêts) en contribuant au sentiment que les «élites» ou «les grands groupes» cachent quelque chose au public et leprennent pour des cons. Figure obligatoire dans le programme imposé du documentaire de dénonciation. Avec ça, il est presque certain qu’un spectateur moyen et apathique sortira du cinéma transformé en militant énervé ou en révolutionnaire acharné. Si le réalisateur peut rajouter une dimension pédagogique (idéalement un cours sur les subtilités du système judiciaire américain) et des images d’archives ou de lettres (surlignées en jaune) où les dirigeants et/ou les experts se contredisent, c’est encore mieux. Mixer le tout avec des plans de refus d’interview (volés, si possible, grâce à une caméra qui reste allumée) et des réponses hésitantes et pleines de bégaiements des responsables (à croire que les militants et les experts de l’autre camp ne bafouillent jamais) et l’affaire est dans le sac. Direction Sundance, la Croisette, voir même les Oscars. »

 

Voilà donc la recette qui a fait le succès des films de Marie Monique Robin, Jean-Paul Jaud et compagnie. Mais attention à l’arroseur arrosé. Le WWF peut en témoigner !

5 commentaires sur “Le documentaire « engagé » en 9 leçons !

  1. Très bon article en effet !

    Mais au delà de la véracité de l’autocritique, oui les médias font toujours le pas de trop avant de s’auto flageller en partant à fond dans l’autre sens.
    Cela montre une fois de plus le caractère « cyclique » des médias.
    Sur l’affaire DSK on a eu droit à deux cycles en accéléré :
    – Au départ c’était un vrai monstre, assoiffé de sexe, comme tous ces cochons de Français.
    – Aujourd’hui c’est la « pôvre » victime noire d’hier, qui n’est qu’une raclure de menteuse d’immigrée qui profite des Etats-Unis et de leurs libertés pour vivre d’activités criminelles.

    De vrais rapaces ! On s’acharne sur le premier qui montre des signes de faiblesses !

    Autre détail : il est curieux de voir que ce « Français » qui certes vit à Barcelone, ne parle que de documentaires Américains ?
    Il est vrai que la Catalogne est très sensible aux productions Etats-Uniennes. Les films de Hollywood y arrivent avec des mois d’avances par rapport à la France.
    Les infos citent souvent CNN, en Espagne en général d’ailleurs.
    Tout de même sa recette collait tout aussi bien aux reportages Français, comme vous l’avez fait remarquer. Hors pas une citation ….
    Le petit garçon dépenaillé, qui sort pieds nus du champ de soja dans « Le Monde selon MTO » était sûrement une belle image choc ….

    Bref les chose sont en train de changer, on le voit bien le public se lasse, donc il faut « autre chose » pour relancer l’audience … Voir le score minable de « Notre poison quotidien » et pire encore pour « Torture made in USA ».
    Mais il semble que l’on ne doit pas directement frapper les icônes, MMR, Jaud, même la jeune Sapporta, n’ont pas encore un pied sur l’escalier de l’échafaud.
    D’ailleurs il n’y a qu’en France que les victimes de l’ECEH n’ont mangé que des « graines germées » …. Le fait qu’elles soient BIO ? Bah! C’est pas important ! Dans un premier temps on a causé la liquidation d’une petite usine de fabrication de steaks hachés qui n’avaient tué personne. Puis ensuite on a trouvé que les graines venaient d’Italie, puis finalement d’Egypte … Donc tout va bien l’honneur du BIO est sauf !
    D’ailleurs on n’a même pas dit que c’était du BIO !

  2. Il oublie un autre « ingrédient » phare des reportages « engagés » :
    Faire parler des experts étrangers.

    – Sous couvert de la traduction on peut forcer un peu le fonds des propos réellement tenus
    – Si l’on déforme un peu trop, c’est moins grave, car un étranger va rarement vérifier ce qu’on lui « fait » dire dans un reportage diffusé loin de chez lui
    – ça limite le retour de bâton d’une propagande erronée, Isabelle Saporta en sait quelque chose.

  3. En complément, je vous invite à lire, sur le site « éconoclaste » ce témoignage (sous anonymat, il est vrai, ce qui peut amoindrir sa crédibilté) d’un internaute travaillant dans le milieu de la télévision et expliquant pourquoi tant de documentaires « engagés » prolifèrent sur nos chaines de TV :
    Ce commentaire est à la suite d’un article du blog critiqauant le docu présenté au mois de mai dernier sur ARTE, baptisé « L ‘obsolescence programmée »

    Citation :

    « Excellent article qui n’est à côté de la plaque qu’au final : vous attribuez le penchant complotiste et l’aveuglement économique du docu à une sorte de « faute professionnelle ».

    Ce faisant vous êtes dans l’erreur : là comme ailleurs, c’est une pure question de demande suscitant l’offre. Autrement dit , les commanditaires c’est-à-dire les chaines de télévision, font fabriquer ce qu’ils veulent voir à l’attente.

    […]

    Depuis une dizaine d’années, pratiquement tous les docus économiques qui « marchent bien » […] sont à base idéologique « complotiste » et « horreur économique ». C’ est devenu comme une norme du genre.

    […]on navigue aujourd’hui au rythme d’enfer : « un documentaire, un scandale ». […]les professionnels de la profession ont aujourd’hui un problème : on est à court de scandales. Du coup, on se retrouve à en débusquer là où il n’y en a pas vraiment…

    Par exemple, vous avez sans doute remarqué le nombre incroyable de documentaires nous expliquant qu’on mange de la merde et que l’agroalimentaire nous empoisonne au sens strict du mot.

    Tous ces films [évitent…]t tous soigneusement de se demander par quel miracle l’espérance de vie peut-être en constante augmentation alors même qu’à les en croire notre environnement nutritif est en pleine dégradation…

    En posant cette question je fais évidemment l’imbécile car je n’ignore pas que quand l’idéologie est en contradiction avec les faits, ce sont les faits qui ont tort.

    […]

    Il y a mon avis plusieurs raisons qui convergent toutes. Certaines relèvent de la sociologie des organisations, d’autres des phénomènes d’idéologie dominante, d’autres enfin des règles de la dramaturgie.

    Du côté des responsables de chaînes commanditant les programmes, […], presque tous sont des littéraires purs et durs (sociologie, lettres, psychologie, journalisme, droit, histoire, science politique au mieux ). Il en est de même des journalistes qui écriront les critiques. […]

    Politiquement, surtout sur les chaînes publiques, Arte compris, la plupart des commanditaires ont un passé et même un présent de militant d’extrême gauche. […] Il est très difficile aux voix dissonantes d’émerger pour les raisons classiques de sociologie des organisations qui font qu’on a tendance à coopter ceux qui partagent vos idées.

    […]

    Dans les chaines idéologiquement de droite (TF1, M6 , W8, C+ , etc….) les responsables sont sociologiquement et intellectuellement de droite mais depuis quelques années la force des idées écologiques plus ou moins décroissantes leur fait envisager l’économie comme une forme de nuisance plutôt que la contrepartie d’un bien-être. Autrement dit, on peut aussi bien arriver par la droite que par la gauche au schéma « l’horreur économique ».

    Dans cet environnement, il est extrêmement difficile de défendre une approche simplement factuelle et pédagogique des choses. Notre société est tellement « de défiance » qu’on est perpétuellement sommé de débusquer l’entourloupe des classes dirigeantes.
    […]

    Par ailleurs, il faut bien reconnaître que le complotisme fait de la bonne dramaturgie. Il y a des bons et des méchants. Le réalisateur (et donc avec lui le spectateur) étant bien évidemment du côté des bons, on attend avec impatience la dénonciation et la défaite du « dark side of the force […]

    Autre grand avantage du complot : c’est une valorisation par essence du spectateur. En effet, il est, comme le réalisateur, par définition toujours du côté des grands initiés, ceux qui ont su […]voir le réel qu’on voulait leur cacher […]
    Il faut bien reconnaître qu’il y a du plaisir et de l’exaltation à se convaincre qu’on est intelligent et qu’on fait partie de ceux qui ont su y voir clair.

    A l’inverse, l’économie ne fait pas le poids en termes d’affect et de dramaturgie car c’est un univers de la nuance et de la complexité […]Trop compliqué et abstrait et donc au final peu bandant ! Comme disait le grand Alexis (de Tocquevlle) : « Une idée fausse, mais claire et précise, aura toujours plus de puissance dans le monde qu’une idée vraie, mais complexe »[…]

    […]

    Autrement dit, dans la hiérarchie de ce qui fait l’intelligence du monde, les faits occupent le bas de l’échelle.

    Si vous travaillez pour la BBC ou National Geographic, vous aurez la surprise quelques semaines avant la diffusion de recevoir un coup fil d’un jeune assistant « fact checker » auquel vous devrez justifier vos sources.

    Par exemple, si votre commentaire assène que les biberons au bisphénol donnent le cancer aux nourrissons , il vous demandera de lui faxer les études vous permettant de dire ça.

    Rien de tel sur les chaines de télévision française. Là, le seul contrôle est celui de conformité aux idées générales c’est-à-dire la communion avec les opinions du commanditaire ou l’évitement des chausses trappes du politiquement correct. Sur le reste (par exemple les chiffres bruts) vous pouvez raconter absolument n’importe quoi sans que quiconque ne cille.

    […]

    Fin de citation

    Pour lire le commentaire en entier, allez ici :

    http://tinyurl.com/6xg86dx

  4. Merci Astre noir. Le Monde a publié une tribune antinucléaire ce week end sur leur site, d’un « sociologue » allemand qui défend l’idée que la vérité n’est pas qu’un problème scientifique mais social (il occulte totalement le fait que l’Allemagne va remplacer MW par MW le nucléaire par du charbon et du gaz). On s’achemine vers des référendums pour établir la vérité des faits et des idées, une forme de populisme absolu où les états appliquerons la desiderata de la dictature de la majorité, y compris (et surtout) quand ils sont impossibles à cumulé (électricité pas cher, sans CO2 et sans nucléaire, pas mourir de faim et tous manger bio).

    Le rôle de ces films de propagandes est de préparer le terrain à cette dévolution qui s’annoncent: les prochains gouvernements ne chercheront plus à favoriser l’économie du pays, mais à faire accepter la pauvreté et le dénuement.

  5. « Une idée fausse, mais claire et précise, aura toujours plus de puissance dans le monde qu’une idée vraie, mais complexe ».

    Alexis de Tocquevlle.

     » Nous préférons des contre-vérités grossières plutôt que des vérités évidentes ».

    Joseph Schumpeter.

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