Le Printemps silencieux

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Nouvel ouvrage dans notre bibliothèque verte : une bonne idée de lecture en cette période de rentrée !

Printemps silencieux, Rachel Carson, 1962.

Cet ouvrage marque, de façon incontestée, la naissance du mouvement écologiste. Jusqu’alors, il était en effet question de protection de l’environnement. Là, il s’agissait de la première campagne ciblée contre les produits chimiques et, en particulier, le DDT. Vendu à plus de 2 millions d’exemplaires et traduit en 16 langues, Printemps silencieux a suscité une polémique violente à l’époque. Il symbolise aussi la première victoire des écologistes, puisque dix ans plus tard les Etats-Unis interdiront le DDT.

La plupart des arguments utilisés contre les pesticides aujourd’hui sont déjà présents dans le livre de Carson. Elle s’en prend directement aux produits chimiques de synthèse : « Alliés sinistres et méconnus des éléments radioactifs, les produits chimiques oeuvrent avec eux à la modification de la nature même du monde – la nature même de la vie. » Elle explique que les êtres vivants n’ont pas le temps de s’adapter à ces « éléments inconnus », d’autant plus qu’un « flot continuel de produits chimiques nouveaux sort des laboratoires ». Evidemment, les scientifiques en désaccord avec son point de vue sont corrompus : « Certains entomologistes, et parmi les plus grands, se font les avocats des méthodes chimiques ; une rapide enquête permet en général de constater que la poursuite de leurs recherches dépend de la générosité des sociétés de produits chimiques ».

Rachel Carson rejette l’idée que les pesticides sont utiles pour produire plus, car « nos difficultés actuelles proviennent d’une surproduction agricole ». Elle situe d’ailleurs la racine du mal avec la modernisation de l’agriculture : « Tout au long de l’agriculture prémoderne, les insectes ne posaient quasiment pas de problèmes aux paysans. Les ennuis sont apparus avec l’intensification de l’agriculture – lorsque l’on a commencé à consacrer d’immenses superficies à une seule récolte. (…) La monoculture ne tire pas profit des principes selon lesquels la nature fonctionne. » Et bien avant Jean-Paul Jaud, et son film Nos enfants nous accuseront, elle lance : « Les générations à venir nous reprocheront probablement de ne pas nous être souciés davantage du sort futur du monde naturel, duquel dépend toute vie. »

Ensuite, elle passe en revue les impacts des pesticides sur la faune, les sols, l’eau, la santé humaine. Pour elle, « nous sommes à l’âge du poison », et déplore que, « pour la première fois du monde, tous les êtres humains sont maintenant en contact avec des produits toxiques, depuis leur conception jusqu’à leur mort ». Elle précise que « des résidus d’insecticides ont été découverts dans du lait maternel humain » et que « les innombrables petites exposition, quotidiennes et permanentes, peuvent s’avérer plus dangereuses encore » que les contaminations massives. Elle dénonce les effets cocktails : « Votre saladier peut fort bien contenir une combinaison de deux insecticides ; chacun est inférieur, probablement, au maximum prévu par la loi, mais l’interaction des deux risque de vous être fatale. » Elle conseille en outre d’éliminer les résidus des fruits et légumes en enlevant leur peau ou leurs feuilles externes, « le lavage n’y fait pas grand-chose ». Affirmant qu’aujourd’hui, « nous ne craignons plus ces virus qui ont naguère englouti des peuples » et que les maladies infectieuses sont maîtrisées, elle accuse les produits chimiques d’être responsables de la recrudescence des hépatites, des cancers, des problèmes de reproduction, etc. En revanche, elle s’étend peu sur ce qu’elle appelle les « brillantes victoires » remportées par le DDT contre le paludisme, la fièvre jaune, etc., pour tout de suite expliquer que le revers de la médaille a été la résistance des insectes, résistance qui a « renforcé l’ennemi que nous voulions abattre ».

Face à ce constat, elle entend aussi offrir des solutions alternatives. Elle évoque les « braves insecticides le plus souvent inorganiques d’avant-guerre » qui « dérivaient de minéraux naturels ou de produits végétaux ; ils avaient pour base l’arsenic, le cuivre, le plomb, le manganèse, le zinc, etc., ou encore le pyrèthre, extrait de chrysanthèmes séchés, le sulfate de nicotine (…), la roténone (…) ». Néanmoins, comme elle le précise, ces « braves insecticides » ne sont pas sans dangers : « Dans le sud des Etats-Unis, où les champs de coton sont traités à l’arsenic, l’apiculture a presque disparu. Les paysans qui utilisent des poudres arsenicales souffrent d’empoisonnement chronique (…). » Mais, ajoute-t-elle, « les insecticides modernes sont plus dangereux encore ». Enfin, les solutions qu’elles préconisent sont principalement la lutte biologique, la stérilisation des insectes nuisibles mâles, l’utilisation de leurres sexuels, de bactéries comme le Bacillus thuringiensis, tout en soulignant que la plupart de ces méthodes ne sont pas encore au point et que certaines, comme l’utilisation de stérilisants, pourraient « nous mener à une situation plus grave encore que celle où nous conduisent les insecticides ».

12 commentaires sur “Le Printemps silencieux

  1. Le passage suivant est savoureux.

    « Elle évoque les « braves insecticides le plus souvent inorganiques d’avant-guerre » qui « dérivaient de minéraux naturels ou de produits végétaux ; ils avaient pour base l’arsenic, le cuivre, le plomb, le manganèse, le zinc, etc., ou encore le pyrèthre, extrait de chrysanthèmes séchés, le sulfate de nicotine (…), la roténone. »

    Peut on avoir une copie exacte de ce passage de son livre, notamment pour le plomb et l’arsenic, que je n’avais pas relevé à la première lecture, il y a fort longtemps.

    On y reviendra et on va s’y attarder longuement. Certainemment jusqu’à la nausée pour ses admirateurs, qui ne pourront plus dire après « nous ne savions pas » et ne trouveront plus de tas de cendres assez volumineux pour s’enduire le crane.

  2. Une nouvelle initiative britannique lancée ce jour en grandes pompes au Parlement Européen, http://www.green-monitor.org, se penche sur le cas du DDT, que ce livre et la polémique qu’il a soulevé a largement contribué à faire interdire dans le monde entier: http://green-monitor.org/issues/ddt-and-malaria.

    Peut-être qu’à force de compter le nombre de morts – humains – que causent les législations environnementales à l’emporte-pièce, dont le Parlement Européen se fait une spécialité, le legislateur réalisera que son rôle est d’agir pour le bien de ses électeurs, pas d’adopter des lois démagogues obéissant aux plus bruyants.

    En attendant, José Bové siège dans ledit Parlement Européen… La route sera longue, mais il est permis d’espérer qu’avec le temps certains d’entre finiront effectivement leur vie en prison. Qui vivra verra !

  3. A propos de la prolifération des punaises de lit à Paris, voir l’excellent article du « Parisien » sur http://www.leparisien.fr/paris-75/les-punaises-des-lits-sont-de-retour-29-09-2009-655590.php?xtor=EREC-109, dans lequel on peut lire qu’à l’origine de celle-ci il y a deux raisons majeures :

    – la multiplication des voyages, notamment vers les pays d’Afrique ou d’Asie (d’où elles reviennent dans les valises ou sur les vêtements des voyageurs),

    – mais surtout l’évolution des insecticides. « Depuis que les directives européennes proscrivent certaines substances toxiques, les produits anti-insectes sont de moins en moins puissants », explique Marc Even, responsable du service municipal d’actions de salubrité et d’hygiène de la ville de Paris.

    Les directives européennes dont il est question c’est la direcive Reach, dont se glorifient à grands coups de cocoricos les eurodéputés écolos.

    Merci aux écolos, bienvenues aux punaises de lit !

  4. Bien que j’ai le plus grand respect pour les commentaires de Laurent, je crois qu’il convient de corriger certains points:

    – le règlement REACH est une avancée, puisqu’il impose la production de données sur les substances chimiques les plus utilisées en Europe, devrait permettre de supprimer certaines substances réellement indésirables (cancérigènes, mutagènes et reprotox de catégorie 1 & 2, PBT et vPvB essentiellement), et de comparer les profils sanitaires et environnementaux des substances décriées par les ONGs avec ceux des substances ou solutions qu’elles présentent comme des « alternatives sûres » (comprendre: nouvelles, plus chères et non documentées), cela selon des méthodologies validées par la Commission, le Conseil et le Parlement, et assez bien acceptées par l’industrie. Le Parlement européen, à cause de sa très faible expertise en la matière, a peu contribué au drafting des méthodologies détaillées dans les annexes de REACH, et d’une manière générale a vu la majorité de ses requêtes rejetées.

    – Le coût de REACH sera certes très important pour l’industrie, et assez élevé pour le contribuable, mais au moins les technologies sont « jugées » par des experts, hors du champs médiatique. On est loin des procès d’intention du Professeur Belpomme – qui d’ailleurs juge que ce Règlement ne va pas assez loin.

    – REACH n’est en fonction que depuis juin 2007 et ne couvre pas les pesticides, qui sont couverts depuis plus longtemps, comme tous les biocides, par un système d’évaluation et d’autorisation spécifique. C’est également le cas des médicaments. Il peut arriver qu’une même molécule soit utilisée comme pesticide, médicament et comme additif plastique, dans ce cas, chacune des application est respectivement évaluée par la règlementation sur les biocide, la règlementation sur la mise sur le marché des médicaments, et REACH. En somme, la réduction de l’efficacité des insecticides ne peut être imputé à REACH – même s’elle est vrai qu’il peut être imputé aux institutions européennes, mais il faut davantage qu’un problème de punaises de lit pour évaluer une législation, n’est-ce pas?

    – L’un des problèmes important pour l’économie, la protection de l’environnement et de la santé, et la lutte contre la chemophobie sont les incohérence règlementaires que les institutions européennes ne semblent pas décidée à supprimer à court terme. Je m’explique: des décisions démago, basées sur le rejet populaire et un lobbying intensif des associations environnementales – mais que les données scientifiques produites et évaluées par les experts publics ne justifient pas – ont été adoptées par le passé. Le but était de répondre à une pression politique entretenue par les médias. Avec REACH, on pouvait espérer que le tri soit fait dans toutes ces décisions, entre celles confirmées par la méthodologie REACH, a conserver et à transposer dans REACH, et celles qui ne le sont pas, à retirer. A ce jour il n’en est rien, et l’on aboutit à des situations ubuesques ou des substances sont interdites comme additifs dans les plastiques, par exemple, mais sont autorisées pour le traitement de surface de vos sous-vêtements…

    Lorsqu’une évaluation scientifique conduit à une conclusion négative, les autorités européennes, préssées par les intérêts environnementaux, sont toujours très diligentes pour interdire le produit. Lorsqu’au contraire l’évaluation scientifique conduit à une conclusion positive, qui devrait donc justifier la levée du principe de précaution, on n’observe jamais la levée des restrictions qui sont considées par les associations environnementales comme les « avantages acquis » sont considérées par les syndicats…

    …pour l’heure, du moins, car avec REACH on va peut-être s’apercevoir que les substances, peu ou pas documentées, qui sont utilisées en lieu et place de la substance bannie sur recommandation des ONG et avec le sourire du citoyen sont en réalité plus dangereuses que les substances qui ont été bannies sur une base non-scientifique !

    Affaire à suivre

  5. @ Reinruov :

    Merci pour ce texte et les informations, c’est très intéressant et clair.

  6. Reinruov,

    Oui, vous avez eu raison de me corriger, pour les pesticides, il ne s’agit pas de la directive Reach.

    Pour les produits phytopharmaceutiques il s’agit de la Directive 91/414, dont les projets de modification et notamment des propositions du parlement européens inquiétaient fort les arboriculteurs en 2007, qui craignaient de se trouver en situation « orpheline » de produit pour un certains nombre de maladies, mettant ainsi en péril la survie de plusieurs cultures dont celle de l’abricot. Je ne sais pas ce qu’est devenu ce projet de réforme de la directive 91/414 depuis lors.

    J’ai saisi l’histoire des punaises des lits parce qu’elle est récente, que c’est un professionnel qui émet un avis sur la réglementation européenne, que l’on sait l’efficacité du lobbying écolo à Strasbourg et à Bruxelles, et qu’enfin l’invasion de Paris par les punaises parle plus aux citadins que les fruits qu’ils considèrent comme allant de soi de trouver en quantité et en qualité dans les rayons de leurs magasins. J’ai fait un peu de « com », moi aussi, quoi !

    « Il faut davantage qu’un problème de punaises de lit pour évaluer une législation », je n’en suis pas certain, car ça peut être le symptôme d’un dysfonctionnement. En tout cas la juger en prenant en compte ses conséquences sur un secteur économique important comme l’arboriculture fruitière est justifié, surtout quand le slogan gouvernemental est « Mangez cinq fruits et légumes par jour ».

    En tout cas merci d’avoir signalé mon erreur. Et merci de m’avoir donné l’occasion de m’expliquer sur mon bref billet ironique.

  7. Dernières nouvelles : la révision de la directive 91/414 a été adoptée par le Parlement en janvier 2009 et par le Conseil le 24 septembre 2009.

    Voir :
    http://www.forumphyto.fr/index.php?option=com_content&view=article&catid=37%3Autilisation-durable-et-91414&id=70%3Arevision-de-la-91414&Itemid=53

    L’Union des Industries de la Protection des Plante (UIPP) estime « qu’il est impossible de définir dès à présent et a priori quelles substances seront impactées par les critères du nouveau règlement ».

    Voir :
    http://www.forumphyto.fr/images/pdf/les-infos/2009/090120cpuipp.pdf

  8. Ah oui, j’ai oublié, comme d’habitude, ça leur est consubstantiel (on peut même dire que c’est la connerie érigée en réflexe pavlovien) les Verts n’aiment que les restrictions, en l’occurrence ils « saluent l’adoption d’une des législations les plus restrictives au monde ».

    On peut lire le communiqué sur :

    http://www.contaminations-chimiques.info/?2009/01/21/521-pesticides-les-verts-saluent-ladoption-dune-des-legislations-les-plus-restrictives-au-monde

  9. A la lecture de l’étude de Bruce Ames ‘http://potency.berkeley.edu/pdfs/Paustenbach.pdf)on peut se demander si le projet REACH qui se cantonne à l’étude de la toxicité des produits chimiques de synthèse et « oublie » les produits « naturels » ne contribue pas encore d’avantage à l’obscurcissement du problème des propriétés toxiques des produits en général.
    Car enfin, il est clair que dans l’esprit de la plupart des gens, le danger provient essentiellement des produits de synthèse. Or, ces produits sont, d’une façon générale, beaucoup mieux connus, du point de vue de leur dangerosité, parce beaucoup mieux étudiés, qu’un très grand nombre de produits naturels, probablement tout aussi toxiques… mais protégés par leur statut. J’approuverai le projet REACH lorsque les colorants, médicaments et produits d’entretien « naturels » passeront aussi les tests. (Et j’y ajouterai le café, la moutarde, les épices et les champignons… entre autres).

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