Philippe Desbrosses

La crise mystique de Philippe Desbrosses

D’aucuns pourraient imaginer que Philippe Desbrosses s’est engagé à défendre l’agriculture biologique sur des bases rationnelles, évaluant ses avantages par rapport à l’agriculture conventionnelle. Or il n’en est rien. La nécessité de l’agriculture biologique est, selon lui, justifiée par des raisons quasi religieuses. Comme il l’a lui-même confié à l’occasion du Forum Ecologie et Spiritualité en octobre 2004, organisé par le WWF, il explique que « ce qui m’a ramené à l’agriculture biologique, c’est la lecture d’un livre un peu décrié mais qui moi m’a fait passé une étape au-dessus, c’était Le Matin des magiciens de Pauwels et Bergier en 1968. J’ai fait ma petite crise mystique à cette époque et j’ai découvert l’alchimie. De l’alchimie au retour à la terre – l’alchimie de la terre, l’or noir des étables – l’importance de cette richesse qui est pourtant une matière nauséabonde, m’est apparue de manière flagrante et c’est comme ça que j’ai quitté le costume à paillettes pour revenir avec les bottes dans le fumier en août 1973. » Et cette « petite crise mystique » s’est poursuivie puisqu’il ajoute : « Tout mon parcours est émaillé de cette recherche mystique et spirituelle, que je n’ai jamais dévoilé parce que c’est plutôt contre-productif si vous défendez des idées très sérieuses, très rationnelles, et qu’en même temps vous y mêlez une quête spirituelle, vous êtes vite catalogué comme dépendant d’une secte ou animateur d’une secte. »

Ainsi, l’écologisme ne doit pas être, selon Desbrosses, simplement le moyen de réduire la pollution, trouver des modes de production plus respectueux de l’environnement, etc., mais constituer les fondements d’une profonde révolution culturelle et spirituelle, comme il l’écrit dans un de ses livres : « Notre époque devra redéfinir les critères d’une nouvelle culture humaine. Après les égarements rationalistes, matérialistes, après les utopies marxistes, les décadences des religions, les erreurs capitalistes, l’humanité a besoin de nouvelles voies, de nouvelles croyances, de nouvelles cathédrales. C’est peut-être l’émergence d’une nouvelle foi écologique dans une vision globale de l’univers, d’une nouvelle approche scientifique, d’un nouveau contrat entre les hommes et leur environnement. »

D’ailleurs, en lisant attentivement les ouvrages de Philippe Desbrosses, on remarque qu’ils sont remplis d’allusions à l’alchimie qui, rappelons-le, est censée être une « science » ésotérique révélée par Hermès Trismégiste, identifié comme le dieu égyptien Thot. Ainsi, il fait référence explicitement aux méthodes alchimiques en parlant par exemple de la « voie sèche » et de la « voie humide ». Pour lui, sa vision de l’agriculture biologique se fait à travers le prisme de l’alchimie, comme ici en ce qui concerne l’ortie : « Selon ces concepts “occultes”, l’ortie est une plante martienne. Or quels sont les attributs de Mars dans son principe actif, évoqués par toutes les traditions alchimiques ou astrologiques : l’ardeur belliqueuse, le sang, le fer, la couleur rouge… Nous retrouvons dans l’ortie cette agressivité qui rougit notre peau en la piquant et active la circulation du sang. Par ailleurs, l’analyse chimique de la plante révèle sa teneur élevée en fer. Dans sa forme même, l’ortie exprime l’influence des forces attribuées à Mars. Ses feuilles pointues, coupées à angles vifs, sa génération “spontanée” pourrait-on dire, à proximité des tas de ferraille, montrent ses affinités avec ce métal. »

De plus, Philippe Desbrosses fait régulièrement référence à Rudolf Steiner (1861-1925), penseur ésotérique et fondateur de l’anthroposophie, qu’il qualifie de « génial humaniste scientifique » et présente à raison comme précurseur de l’agriculture bio. Rudolf Steiner est à l’origine de l’agriculture biodynamique, une technique que Philippe Desbrosses a déjà appliquée par le passé, dont l’un des aspects essentiels réside dans les influences cosmiques sur l’agriculture. Le président d’Intelligence Verte explique en effet que « chaque intervention de l’agriculteur ou du jardinier est ainsi renforcée positivement ou négativement selon l’heure et les configurations planétaires. En d’autres termes, la plante reçoit les forces ou les faiblesses des “musiques célestes” du moment. » C’est l’occasion pour Philippe Desbrosses de dénoncer « la science moderne, dans sa volonté obsessionnelle et démesurée d’être objective », et qui « s’est laissé emprisonner dans un système dont l’insuffisance nous conduit à des situations aussi absurdes que la médecine symptomatique et l’agriculture minérale ou chimique ». Il conclut que « la pensée moderne doit très vite s’affranchir de cette tendance pour que l’humanité redécouvre enfin sa véritable dimension, spirituelle (…). Le mérite de Rudolf Steiner, c’est d’avoir décrit dès le début du siècle tous les risques et d’avoir indiqué des pistes pour y échapper. » Soulignons que Rudolf Steiner, encensé par Desbrosses, a produit un certain nombre de réflexions assez délirantes, expliquant par exemple que « la vache a des cornes afin d’envoyer dans son propre corps les forces formatrices astrales et éthériques », ou que « la masse cérébrale (est) tout simplement de la matière fécale conduite à terme », ou encore que « si les hommes et les animaux sont devenus matérialistes (…) c’est entre autres qu’ils consomment trop de pommes de terre »…